En ayant rencontré ce personnage hors du commun après avoir lu un article dans la revue Bourgogne Magazine[1], j’ai découvert un homme passionné de peinture, Michel Vienkot, qui utilise une manière originale de réaliser ses œuvres.
Tout commença lorsque cet artiste, issu de trois générations de peintres, oublia ses tubes de peinture alors qu’il devait réaliser le portrait d’une belle vache charolaise. Oui, notre artiste s’était spécialisé dans le bestiaire. C’était il y a une vingtaine d’années environ. Une charolaise qui l’attendait dans le pré s’oublia et laissa tomber une belle bouse lourde et odorante. L’odeur ne gêna point notre homme, il la connaissait déjà et, de toute façon, c’était tout à fait naturel.
N’ayant pas le cœur à retourner en ville, il eut l’idée – saugrenue diraient certains – de tremper son pinceau dans cette bouse qui ressemble à de l’herbe broyée. Le résultat fut surprenant sur la toile. Alors qu’il pouvait être décevant, ce fut tout le contraire. Voilà ce qu’il disait au journaliste à cette époque : « La bouse s’étale sur la toile exactement comme pour une aquarelle, elle se comporte de la même manière. Mélangée avec de l’eau, elle donne des nuances étonnantes, des tons pastel au vert foncé. Débarrassé des odeurs après une journée de séchage, on obtient une coloration vieil or que j’aime par-dessus tout. Selon les saisons, j’écrase des baies pour étendre ma palette. »
Depuis, notre artiste a étendu sa gamme en utilisant directement des éléments de la nature. « Par exemple, la chair violacée du museau est restituée par les mûres. J’incorpore aussi dans mon tableau des herbes, des trèfles à quatre feuilles, tout ce qui est dans un pré. En fin de compte, la nature se suffit à elle-même. Faire renaître une vache avec ses excréments c’est, pour moi, parcourir le cycle même de la vie, comme une lente rumination. »
Ses outils : un bocal noir de fumée pour remplacer les crayons, un bocal de racines pourries pour les bruns, de la cendre pour les gris et du papier. Notre artiste est un homme proche de la nature. Il a même vécu en Provence dans une cabane sans eau, ni électricité. Tout un art de vivre. Depuis lors, revenu dans sa Bourgogne natale, lui et son épouse sont devenus végétariens. Non par conviction mais parce que cela leur a semblé dans l’ordre des choses. En effet, comment peut-on manger un animal à l’image de ceux qu’ils peignent et qui vivent autour d’eux.
Notre homme est aussi un amoureux des vieilles pierres. A Juilly, il a acquis une vieille chapelle à l’abandon dont le contenu avait été pillé. Cet achat ne s’est pas réalisé pour une question de religion mais tout simplement parce qu’il avait du mal à accepter qu’un quelconque acheteur ne la détruise ou ne la transforme en maison d’habitation. Depuis, Michel fréquente assidument les brocantes. Il chine pour acheter de vieilles « Vierges, Mères à l’Enfant » pour redonner du sens, un contenu spirituel au lieu. Ce n’est point un hasard s’il collectionne les Vierges à l’Enfant. Il se situe, comme ses peintures, dans le cycle de la nature où tout se régénère. Travaillant maintenant dans la sacristie de son église, il n’est pas loin de penser que le lieu est porteur de sa création. Il me racontait qu’un matin, s’étant assoupi dans son atelier, il se réveilla et aperçut une vache qui le regardait.
Une autre question se pose : A-t-il des clients pour acheter son bestiaire ? Pour vendre sa première œuvre réalisée de cette manière, il dit lui-même : « J’ai vendu ma première vache sans oser dire avec quel matériau je l’avais faite. J’étais, sans le vouloir, doublement provocateur. »
Aujourd’hui, il n’a plus de problème pour dire qu’il vend des « aquabouses. » Ce nom inventé par son épouse, peintre elle-même, allie la pureté de l’eau aux excréments des animaux. En bas de ses toiles, il en indique toujours la composition, par exemple : « Eau + bouse + mûre + bistre de tuyau de poêle. »
Lors d’un reportage sur une télévision britannique, il vit débarquer des cars de touristes pour voir et acheter ses œuvres. Un tour-opérateur n’avait pas hésité à l’inclure dans l’un de ses circuits.
Si les toiles sont originales, il faut prendre un certain nombre de précautions. Par exemple, exposées au soleil, les teintes ont tendance à s’estomper au fil du temps. De la même manière, elles redoutent le feu de la cheminée ou un mur trop froid. L’idéal est d’appliquer un verre anti-UV. Pour protéger la toile.
Et à ce jour, Michel Vienkot a vendu plusieurs centaines de portraits de vaches, son animal préféré. Il possède même une galerie à Semur (28, place Notre-Dame), qu’il partage avec son épouse, aquarelliste. Si vous passez à Semur, passez le voir, c’est un personnage étonnant avec sa verve, sa passion, ses longs cheveux blancs. Et vous serez très étonné … agréablement.
Découvrir d'autres histoires dans les Mystères de la Côte d'Or (Éditions De Borée).
[1] BROUILLOT, Dominique, Bourgogne Magazine, mars-avril 1995.