Charlie... et maintenant.
Plus de 50 jours après l'attentat du 11 janvier 2015, après que la France se soit élevée pour montrer aux terroristes que nous n'avions pas peur, montrant son visage fraternel, le Bien Public a demandé à plusieurs personnes de témoigner sur la société et la laïcité. Parmi ceux-ci, j'ai eu l'honneur d'être interviewé par Madame Jocelyne Rémy. Comme vous êtes nombreux hors de notre département, je reproduis ci-dessous ce qu'elle a retenu.
Ce franc-maçon redevenu lambda, après avoir eu des responsabilités régionales dans ce courant de pensée, a travaillé sur les apports des traditions préislamiques, de l'islam à la franc-maçonnerie.
Alain Lequien, vous avez fait à deux reprises le chemin de Compostelle. Croyez-vous en Dieu et, si oui, en quel dieu ?
Je suis déiste. Cela signifie que je crois en quelque chose de supérieur, mais qui transcende toutes les religions. Je ne suis pas du tout athée. Je suis un cheminant. A partir du moment où l'on transcende toutes les religions, vous les dépassez....
Qu'avez-vous pensé des événements de janvier ? Et de ce qui s'en est suivi en France ? Peut-on mettre en avant la notion du mal ?
Je ne sais pas ce qu'est le mal. Je ne sais pas ce qu'est le bien. C'est la différence que je fais entre la morale et l'éthique. Pour moi le bien et le mal, ça a une connotation religieuse au sens large du terme. Je fais une grande différence avec l'éthique (d'ailleurs, ce sera le sujet de l'un de mes prochains livres). L'éthique c'est avoir des valeurs qui sont personnelles.
Y a-t-il des valeurs universelles ? Ou ne sont-elles que personnelles ?
Certaines sont universelles. ... Mais pour moi, il s'agit plus largement de "tout être humain a droit à la vie". Ce qui est autre chose. Tu ne tueras point est une morale. C'est une injonction suivie d'une sanction. Tu ne dois pas agresser la vie de quelqu'un, c'est une éthique. Mon éthique personnelle, c'est qu'on a pas le droit de tuer un homme quel qu'il soit. Le sang ne remplace pas le sang. Jamais.
Par ailleurs on a beaucoup parlé de blasphéme. Qu'en pensez-vous ? Peut-on tout dire ou écrire ?
J'ai défilé. Alors que le journal Charlie Hebdo n'est pas ma tasse de thé. Je l'ai acheté parce que je pense qu'il fallait un soutien. Mais certaines choses m'ont choqué dans la lecture. En revanche, je pense qu'il y a quelque chose d'important, c'est la liberté individuelle et publique de pouvoir dire. Si j'ai défilé, c'est pour défendre la liberté d'expression. Comme sans doute le majorité des hens, je pense.
Maintenant est-ce qu'il y a un droit au blasphème? Je suis très mitigé là-dessus. La religion, chose intime, je ne suis pas contre ! A partir du moment où une religion apporte à quelqu'un, à une communauté, au contraire, c'est très bien. Et choquer l'autre en blasphémant... c'est entrer dans l'intime. D'un autre côté, nos lois n'interdisent pas le blasphème. Donc, la liberté, c'est de laisserr la personne blasphémer, même si à titre personnel ça me choque.
C'est là que le franc-maçon que je suis prend le pas : je suis pour la laïcité, c'est à dire la liberté des choix. Même si je suis déiste. Pour moi, ce qui est bien en France - ou en Turquie pour une part -, c'est que tout le monde peut cohabiter en séparant le public du privé.
Dit-on se méfier d'une caricature ?
Il y a caricature et caricature. Blasphème et blasphème. Est-ce qu'une caricature est un blasphème? Pour avoir lu le Coran, quand on dit blasphème je ne suis pas sûr que la caricature de Mahomet soit un blasphème. Je peux comprendre que cela choque, mais je ne le traduirais pas, à titre personnel comme un blasphème. Mais, c'est ma lecture propre du Coran.
Ces tueurs n'ont aucune culture religieuse. Dans tous les endroits, dans toutes les religions, on peut prendre une partie sortie de son contexte et lui faire dire ce que l'on veut.
Quelle est l'importance de cet événement tragique dans la pensée contemporaine?
Pour moi, depuis, quelque chose s'est passé d'important. D'abord, le mouvement que cela a créé, même si je ne suis pas persuadé qu'il y aura une continuité. Il était nécessaire de faire quelque chose. Ensuite, il y a un mot qui revient beaucoup plus souvent, c'est le mot de fraternité. Que la fraternité s'élargisse à l'ensemble de nous tous... Nous sommes tous frères. Et ce que j'aimerais vraiment, c'est qu'il y ait une prise de conscience que nous sommes sur cette terre tous des frères. Croyants et non croyants.
Cela rejoint le fait que nous appartenons tous à la même race, même si certains sont nés à un endroit différent ou ont une religion différente. Nous appartenons à la race humaine. Il n'y a pas de différence entre un blanc, un noir, un musulman, un non-musulman... Francs-maçons, nous avons un devoir, c'est la lutte contre les préjugés. Cela me semble indispensable.