Faire retraite dans un monastère peut paraitre étonnant pour un déiste, se posant de nombreuses questions sur les religions. Mais, j’en ai éprouvé le besoin, tout simplement, pour terminer en sérénité un ouvrage dont la réalisation me tient à cœur tout particulièrement : Francs-maçons d’Orient, dialogues vers Compostelle.
Y-a-t-il un lien avec mon accident de juin dernier qui s’est déroulé non loin de là, et qui a failli mal se terminer ? Etait-ce un signe du destin, du hasard ? Je ne sais quoi vous répondre, mais au fond de moi, je n’y crois guère.
Je ne sais pas si j’ai été moine dans une autre vie (ce que les manichéens appellent le transvasement). Mais, je me sens proche d’eux même si je serais incapable de vivre leur expérience de vie. J’aime trop la multiplicité de la vie, le fait de pouvoir faire de nouvelles expériences, en fait je suis trop hyperactif pour me poser ainsi même dans un lieu si serein.
Donc pourquoi ma présence en ce lieu retiré ? C’est tout simplement la volonté de me retrouver de nouveau face à moi-même, loin des bruits assourdissants d’une activité peut-être trop intense. Vous savez, celle des retraités…
Le monastère de Ganagobie qui m’accueille pour ces six jours est situé entre Sisteron et Manosque, sur un plateau de quatre cents hectares dominant la tumultueuse Durance. Pourtant, son nom me fait penser aux Pères du désert d’Egypte. La voie Domitia reliant Rome à Saint-Jacques-de-Compostelle passe à proximité du monastère. C’est donc un endroit où j’aurais dû effectivement passer cet été.
Faisons maintenant un peu d’histoire.
Même s’il reste les prémices d’une première abbatiale au village datant du IXe siècle, le premier prieuré fut créé au Xe siècle avec une église dédiée à Notre-Dame. On peut admirer encore de très anciennes et belles mosaïques du Moyen Âge (même si elles auraient besoin d’être rénovées) dont les décors reflètent l’expérience des moines du XIIe siècle pour qui le monde était le théâtre de la lutte contre les passions. Le mal y côtoie le bien.
Dès 939, trois décennies après la création de Cluny, Ganagobie fut rattaché à cette grande abbaye bourguignonne qui va dominer pendant plusieurs siècles le monde de la Chrétienté occidentale. Pendant plus de trois siècles, l’abbaye fut florissante.
Puis, comme un peu partout en France, son déclin va s’entamer avec un point bas qui se situe avec le saccage par les Huguenots en 1562.
En 1788, le prieuré est supprimé par le roi de France. Trois ans plus tard, les bâtiments sont vendus comme biens nationaux. Une grande partie des bâtiments conventuels fut démolie. Après un total abandon, en 1891 le prieuré est cédé à la Communauté Sainte-Marie-Madeleine de Marseille, une Congrégation bénédictine créée par dom Guéranger en 1865.
Pendant plus de vingt ans, les moines vont aller se réfugier en Italie à la suite de loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905. Grace à un subterfuge, le prieuré ne fut pas saisi puisque appartenant nominativement à un moine.
De retour en 1925, les moines rejoindront l’abbaye royale de Hautecombe (Savoie) prêtée par le roi d’Italie. Puis, pendant douze années, des moines venus de Marseille vont restaurer Ganagobie alors en ruine.
En 1955, avec l’accord des Monuments historiques, la rénovation de l’église est lancée. Il faudra dix-huit années pour la réaliser. Les années suivantes vont permettre une restauration succincte des mosaïques romanes trouvées sur place.
En 1992, Ganagobie étant devenu habitable, les moines quittent de Hautecombe (Savoie), les moines reviennent s’installer sur le plateau. Le prieuré ancien est devenu abbaye. En 1994 a lieu la consécration de l’église lors du millénaire de la mort du grand abbé de Cluny, saint Mayeul. C’est dans ce lieu que furent enregistré de beaux chants grégoriens réalisés par les moines encore présents.
C’est donc dans ce lieu clunisien par essence que je passe cette retraite, un Cluny que je connais bien pour y avoir habité plus de trois ans.
De nos jours, forte de dix-huit moines, de quelques novices et oblats, la communauté consacre une grande partie de son temps au travail manuel et intellectuel, selon la Règle de Saint-Benoit. Les moines étant contemplatifs, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas d’activités externes hormis le travail leur permettant de subvenir à leurs besoins.
La retraite n’est pas contraignante, laissant une grande liberté à chacun d’organiser sa journée en tenant compte des impératifs de la communauté.
La vie monastique est très réglée, et le tintement des cloches est là pour nous la rappeler.
Les moines et novices participent à sept offices quotidiens, de 5h00 du matin à environ 20h30 le soir. Personnellement, j’y participe à trois reprises, un chiffre de synthèse que je connais bien. C’est toujours un moment intense de recueillement rythmé par la musique des psaumes chantés des moines.
Voici le déroulement de ma journée organisée autour de l’écriture, le recueillement, la méditation et la lecture.
Lever vers 6h00, pour assister aux Laudes qui ont lieu à 7h00 dans l’église. Celles-ci durent environ trente minutes. Passant par le cloitre sur l’invitation du père hôtelier, nous allons prendre le petit déjeuner servi en libre-service au réfectoire des moines sans leur présence.
Petite balade d’une demi-heure environ suivie d’un temps d’écriture jusqu’à midi. Juste le temps d’aller à l’église pour assister à Sexte.
Après l’office qui dure dix minutes, nous nous rendons par le cloitre au réfectoire des moines pour y prendre le déjeuner en leur présence. C’est un temps de partage où le silence est de rigueur. Seul, un moine fait la lecture de textes historiques ou religieux. Il se trouve, fait du hasard (existe-t-il ?) que l’un des textes est issu d’un ouvrage de V. Laurent-Petit, Un très bon plan (Editions Globe) qui parle du compagnonnage. Un beau morceau d’architecture pour Bourguignon la Passion.
Chaque moment est rythmé par le bruit de la bague de l’abbé sur le table de bois (comme à l’église d’ailleurs) alors que j’ai vu qu’il disposait d’un maillet.
A la sortie, nouvelle petite balade suivie d’un temps d’écriture jusqu’aux Vêpres qui ont lieu à 17h30 et qui dure trente minutes.
Le diner a lieu à 19h00 et se déroule de façon identique au déjeuner. A la fin, une tisane chaude nous est servie.
La table des retraitants et des oblats (civils volontaires au service du monastère) est placée au milieu des tables des moines disposées en U.
Au retour du repas, comme il fait nuit noire, je rentre dans ma chambrée en consacre mon temps un peu à l’écriture, surtout à la lecture et à la méditation jusqu’à ce que les bras de Morphée m’appellent.
Seuls les retraitants hommes mangent au réfectoire de l’abbaye avec les moines, les femmes partageant leurs repas au réfectoire de l’hôtellerie.
Les offices, constitués de psaumes chantés, se déroulent sous la forme d’un dialogue entre l’un des moines et le reste de la communauté. Ici, pas de fioritures, tout est simple, prenant, à même de vous pousser à la réflexion et au recueillement. Et c’est beau ces voies d’hommes sans musique.
Dimanche, la veille de mon départ, j’ai assisté à la messe concélébrée par sept moines prêtres. Ce fut un moment fort plein d’émotions, un peu comme celles que j’ai pu suivre sur mon cheminement vers Compostelle lors de la messe des pèlerins.
Lors de mon arrivée, avant le premier repas, l’abbé m’a lavé les mains en signe d’accueil. Ce geste se trouve dans la continuité d’une tradition ancienne où les moines lavaient les pieds des pèlerins et des passants qu’ils accueillaient, riches ou pauvres. Cette tradition du lavement des pieds, j’en ai bénéficié en Espagne sur le Chemin de Compostelle dans certains monastères.
Les repas et le logement sont dans la même veine, juste ce qu’il faut pour assurer le minimum. La petite chambre individuelle avec lavabo est largement suffisante, la douche et les toilettes étant communautaires. Tout cela est propice pour bénéficier de ce moment de recul face à un monde épuisant.
Au cours de mes petites balades sur le plateau, j’ai pu découvrir les cultures des moines, jardin potager pour les repas, oliviers et lavande servant à la fabrication de produits vendus par le monastère. Une de leurs sources de revenu avec l’hôtellerie (35 euros en pension complète).
Sur le plateau, une fontaine aux oiseaux est située au milieu du chemin. On peut y voir aussi d’anciennes tombes de moines sous forme de sarcophages, le nouveau cimetière d’une grande simplicité, des bâtiments ronds en pierres et… une tortue géante réalisée avec les pierres du plateau.
Une belle expérience que je ne manquerais pas de renouveler.
Bourguignon la Passion